Sunday, March 18, 2012

Qu'attendons-nous de l'Eglise Égyptienne aujourd'hui? II


2. Ne vous retirez pas ! Une Eglise engagée dans la société

"Justice Sociale" - Dessin par: Samer Gaafar
Les chrétiens d’Egypte, après avoir connu des moments difficiles pendant les années 80 et 90, sont devenus plus en plus enfermés sur eux-mêmes (sauf, bien sûr, des exceptions) et que l’Eglise a tenu ces dernières années un discours plus ou moins négatif sur notre patrie terrestre considérée comme une patrie de souffrance et d’exil, tandis que la patrie céleste est notre vrai patrie où nous connaîtrons la paix éternelle ! Ce discours, malheureusement, a favorisé l’enfermement de la communauté chrétienne sur elle-même et a encouragé de plus en plus les chrétiens à se retirer de la vie sociale et de la vie politique. Or, l’Eglise d’Egypte est invitée aujourd’hui à redécouvrir l’importance de cette patrie terrestre et l’harmonie entre cette patrie terrestre et notre patrie céleste. En fait, la patrie céleste ne supprime pas la patrie terrestre ; au contraire, il y a une relation d’intégration entre les deux et le service de l’un n’empêche pas le service de l’autre : « mais l’attente de la nouvelle terre, loin d’affaiblir en nous le souci de cultiver cette terre, doit plutôt le réveiller : le corps de la nouvelle famille humaine y grandit, qui offre déjà quelque ébauche du siècle à venir. C’est pourquoi, s’il faut soigneusement distinguer le progrès terrestre de la croissance du règne du Christ, ce progrès a cependant beaucoup d’importance pour le Royaume de Dieu, dans la mesure où il peut contribuer à une meilleure organisation de la société humaine [1]». Ainsi, dans la vie chrétienne la réalité céleste ne veut pas détruire la réalité terrestre ; au contraire, une rencontre entre les deux est nécessaire : « … la vie chrétienne ne les détruit (les réalités avant-dernières) ni ne les sanctionne ; en Christ, la réalité de Dieu rencontre celle du monde ; nous sommes associés à cette rencontre, qui a lieu au-delà de tout radicalisme et de tout compromis. Vivre en chrétien veut dire participer à la rencontre du Christ avec le monde[2] », explique Bonhoeffer.

Une communauté pour le monde
Dans son ouvrage « Théologie de l’espérance », Moltmann nous invite à réfléchir au rôle de la communauté chrétienne : pourquoi sommes-nous là ? Et à quoi  aspirons-nous ? D’abord, il explique que la communauté chrétienne n’est pas une communauté pour elle-même, mais elle est invitée à être une communauté pour le monde, c’est-à-dire, une communauté au service du monde « Elle n’est donc rien pour elle-même : tout ce qu’elle est ; elle l’est dans son existence pour les autres ; elle est la communauté de Dieu en étant une communauté pour le monde[3] ». Pour Moltmann, notre mission en tant que chrétiens n’est pas seulement de transmettre la foi et l’espérance, mais aussi de travailler à une vraie transformation historique de la vie ; car pour lui,  « L’espérance de l’Evangile a une relation polémique et libératrice non seulement avec les religions et les idéologies des hommes, mais bien davantage encore avec leur vie concrète et pratique, et avec les conditions extérieures dans lesquelles cette vie déroule[4] ». Moltmann nous invite alors à être, au cœur de ce monde, au service de la vérité et de la justice ; à travailler au cœur de la société pour plus d’humanité et plus de liberté, par cette force de l’action créatrice de l’amour : « Les institutions, rôles et fonctions de la société sont des moyens sur le chemin de cette « extériorisation » ; ils doivent donc être mis en forme par l’action créatrice de l’amour, en sorte que la coexistence des hommes dans cette société se fasse avec plus de justice, d’humanité et de paix, et dans la reconnaissance mutuelle de leur dignité humaine et de leur liberté[5] ».

A partir de cela, nous pouvons découvrir le deuxième rôle de l’Eglise copte dans la société: être engagée dans la société. Aujourd’hui, et après la révolution, les chrétiens d’Egypte sont invités à participer sans avoir peur à la vie sociale, à la vie politique et surtout, à construire avec leurs compatriotes l’avenir du pays. Nous comprenons très bien les craintes légitimes des responsables coptes, mais le fait de s’éloigner de la vie de la société serait aussi une erreur désastreuse. Nous avons vu dans la première partie que les chrétiens d’Egypte étaient, dès les premiers jours de la révolution, côte à côte avec leurs amis musulmans sur la place de Tahrir. Aujourd’hui aussi, nous devons travailler tous ensemble pour assurer la démocratie, la justice et la liberté pour tous les citoyens. Travailler ensemble au service du bien commun c’est l’appel de l’Evangile, car il nous invite à aimer et à servir.


[1] G&S 39§2
[2] Bonhoeffer Dietrich, Ethique, Labor et Fides, Genève, 1989, P. 104.
[3] Moltmann, Jurgen, Théologie de l’espérance, Cerf, Paris, 1983, p. 352.
[4] Ibid., p. 355.
[5] Ibid., p. 364.

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Extrait de mon mémoire "Le rôle des Eglises aujourd'hui dans la société Égyptienne: Un regard sur la révolution du 25 janvier".

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